Joseph Baker
Le débat sur la sauvegarde de l’intégrité territoriale et écologique du parc du Mont-Orford pose des questions d’éthique professionnelle. Le rôle des urbanistes a fait l’objet d’une enquête de La Presse. La firme Daniel Arbour associée à la firme IBI reconnue pour ses services dans le développement de centres de ski a comme clients à la fois le promoteur, la municipalité du canton d’Orford et la MRC de Memphrémagog.
Le concept de « condo vert » intervient dans le débat avec le soutien de l’Ordre des architectes du Québec, du Conseil général du Parti libéral et de l’éditorial de La Presse. La lettre qui suit est un rappel par un ancien président de l’Ordre des architectes du Québec du rôle de protection du public qui doit être pris en charge par les ordres professionnels par un ancien président de l’Ordre des architectes du Québec.
LETTRE OUVERTE À :
MM. André Bourassa et Yves Gosselin
Présidents de l’Ordre des architectes du Québec et de l’Institut royal d’architecture du Canada
le samedi, 6 mai 2006
Messieurs les présidents et chers confrères,
Il y plus d’un mois je vous ai écrit dans l’espoir que vous afficheriez votre appui aux milliers de citoyens et nombreux groupes qui s’opposent à la mise aux enchères d’un élément précieux du patrimoine québécois, le Mont Orford. Compte tenu du fait que la protection du public fait partie essentielle du mandat de notre corporation professionnelle, il me semblait crucial que ses représentants se prononcent contre un geste particulièrement répréhensible, voire illégal, comme celui que le gouvernement du Québec entend poser à cet égard. Je ne m’attendais pas à ce que vous soyez nécessairement parmi les douze mille manifestants à Montréal le Jour de la terre. Toutefois, quelle était la déception profonde que j’ai éprouvée en lisant vos propos, ayant paru dans La Presse du 4 mai dernier, vantant les mérites d’un projet que l’on pourrait envisager sur les flancs de la montagne : « un projet dans lequel les matériaux seraient choisis en fonction d’une intégration exemplaire au site. » Vraiment ! Vous croyez sincèrement que ceux qui s’opposent au détournement d’un Parc national seraient rassurés par un projet qui respecte les critères de Design énergétiquement et écologiquement corrects ? Vous croyez aussi que c’est une simple question de style voulant que l’on remplace les condos à l’ancienne des Cantons de l’Est, par un projet de condos chéris qui répondrait selon vous à de nombreux objectifs « plus compatibles qu’on veut généralement le croire » ? Parler en ces termes, c’est éviter l’essentiel du débat.
Ce ne serait pas la première fois qu’un promoteur ou qu’un gouvernement songerait à invoquer les qualités architecturales d’un projet pour justifier la destruction éhontée d’un édifice patrimonial, d’une église, d’un vieux couvent ou même de tout un quartier ayant pour effet de forcer l’expulsion de ses habitants.
Il faut comprendre que ceux qui s’opposent à la privatisation d’une partie significative d’un Parc national et de la transformation de ses versants en village récréo-touristique ne seraient aucunement soulagés par l’attribution éventuelle d’un prix d’excellence aux auteurs du projet. Ils tiennent surtout à préserver un magnifique site naturel et monumental, sans entraves et accessible à tous, y compris aux générations futures. Il existe certainement un rôle pour les architectes dans l’aménagement de nos territoires, plus particulièrement, dans la construction d’un environnement sain et enrichissant, toutefois, face à des gestes insensés, la plus grande contribution réside dans la puissante riposte d’un NON.
Veuillez agréer, chers confrères, mes salutations cordiales.
Joseph Baker
Ancien président de l’Ordre des architectes du Québec
Fellow de l’Institut royal d’architecture du Canada