La saga du Mont-Orford, 10 ans après
Point de vue de Mario Denis, avocat à la retraite. L’auteur a travaillé à la rédaction de la loi sur la réintégration des 459 hectares du mont Orford à l’intérieur du parc national du mont-Orford.
À titre d’avocat-légiste au ministère de l’Environnement, j’ai eu le privilège de rédiger la Loi concernant le parc national du Mont-Orford, adoptée en 2010 à l’unanimité des députés de l’Assemblée nationale pour permettre la réintégration dans le parc des terres occupées par le centre de ski et le terrain de golf. À cette occasion, j’ai conseillé la ministre Line Beauchamp tout au long des travaux sur cette loi en commission parlementaire et participé à la préparation du bail de location de ces terres. Il m’est donc difficile de rester silencieux face aux récentes décisions de Corporation Ski & Golf Mont-Orford mettant en cause l’accessibilité à ce parc national. Si je choisis d’intervenir maintenant, c’est dans l’espoir d’éviter une nouvelle saga du Mont-Orford et de prévenir une autre crise autour de l’accès à cette montagne.
Le rappel des faits à l’origine de la Loi de 2010 m’apparaît essentiel à la solution des difficultés issues de la gestion actuelle des terres louées par la Corporation.
La genèse du dossier
Le 12 mars 2006, en réponse aux demandes du gestionnaire du centre de ski de l’époque qui voulait le rentabiliser en construisant des condos à proximité des pentes, le gouvernement Charest a fait adopter par l’Assemblée nationale une première loi (2006, chapitre 10) privatisant 459 ha. de terrains dans le parc national du Mont-Orford, ce qui provoqua une forte opposition populaire.
La volonté du législateur en 2010
En 2010, soucieux à la fois de rétablir la paix sociale et de cesser de supporter financièrement les activités de ski et de golf, le gouvernement réintégrait par loi les terrains dans le parc tout en prévoyant le transfert, par appel d’offres, du centre de ski et du golf à un tiers. À défaut de trouver preneur, la loi prévoyait le démantèlement de ces installations.
Les acteurs politiques et économiques de la région se sont rapidement mobilisés pour sauvegarder ces activités : la MRC de Memphrémagog proposa de rentabiliser la station de ski par des développements immobiliers en périphérie du parc avec un accès direct à cette station via des chaises d’accommodation. Le gouvernement accepta cette proposition en prévoyant dans la loi des mesures d’exception à la Loi sur les parcs afin de permettre la construction de ces liens dans le parc et l’allègement des mécanismes d’autorisation. Fort de ces amendements législatifs, la MRC, puis la Corporation, se portèrent finalement acquéreurs des installations de ski et de golf.
Par contre, outre les préoccupations économiques, l’objectif premier de la Loi de 2010 n’en demeurait pas moins, pour le gouvernement, de réintégrer dans le parc les terrains exclus et de donner aux Québécois l’assurance que les activités de ski et de golf, si elles devaient se poursuivre, seraient strictement contrôlées afin de préserver l’intégrité et la mission du parc.
Pour ce faire, tant l’appel d’offres que le bail ont intégré des dispositions claires précisant « ce qui serait possible de faire et de ne pas faire sur les terrains cédés ». Ainsi, l’article 2 du bail précise que le territoire loué « doit n’être utilisé qu’aux fins d’exploiter un centre de ski et un terrain de golf (nous soulignons) ». Le même article permettait par ailleurs « l’exploitation d’activités de plein air telles que les repas en plein air, la randonnée non motorisée, le deltaplane, le parapente, l’escalade, la photo, la raquette, le ski de fond, le patinage et la tenue d’activités telles que des réceptions et des réunions d’affaires ». Comme l’avait précisé la ministre Beauchamp en commission parlementaire, on entendait ici des installations « vraiment légères, peu intensives, peu élaborées et destinées à des activités complémentaires (nous soulignons) ».
En réponse aux craintes que d’autres intervenants, dont des députés, continuaient d’entretenir à l’effet qu’avec le temps, les terres louées du parc ne se commercialisent et n’accueillent des activités tels un casino, une glissade d’eau, une discothèque, etc., le gouvernement apporta une modification supplémentaire à l’article 2 de la Loi de 2010 précisant que le droit superficiaire éventuellement accordé à l’acquéreur des installations ne pourrait être établi « qu’aux fins d’y exploiter un centre de ski et un terrain de golf (nous soulignons) ». Comme l’exprimait alors la ministre, même une éventuelle modification au bail pour élargir la nature des activités permises sur les terres louées ne serait pas possible sans contrevenir à la loi.
Encore une fois, le choix des mots était significatif. La ministre Beauchamp expliquait d’ailleurs qu’en sa qualité de ministre responsable des parcs nationaux, elle était très sensible au fait que ce qu’elle était en train de faire n’était pas en principe permis dans ces espaces protégés, d’où sa volonté d’encadrer de la façon la plus serrée et la plus précise possible ces activités. J’ai moi-même été invité à préciser en commission parlementaire, au bénéfice de la ministre et des députés, que les activités ainsi autorisées dans le contexte d’une loi d’exception à la Loi sur les parcs, devraient toujours faire l’objet d’une interprétation la plus restrictive possible.
Rentabiliser à tout prix
C’est donc avec étonnement que j’ai appris qu’au fil des ans, la Corporation avait permis sur les terres louées du parc des activités comme le cinéma et les concerts en plein air, la restauration par camion ambulant, un festival de la bière, l’affichage de publicités commerciales, etc. De telles activités ne sont compatibles ni avec la mission de protection du parc ni, surtout, avec les dispositions de la loi et du bail.
Cette volonté de rentabiliser à tout prix les installations de ski et de golf semble malheureusement en voie de s’accentuer puisque la Corporation a progressivement multiplié sur les terres louées des activités lucratives qui ont compromis l’exercice des droits d’accès des usagers du parc, pourtant garantis par loi, ce qui constitue une forme de privatisation de ces terres, très éloignée de la volonté du législateur. En effet, des dispositions furent spécifiquement prévues au bail pour assurer la gratuité de l’accès au parc : aux termes de l’article 10, si le gestionnaire « peut contrôler l’accès au Territoire loué et tarifer en conséquence », il n’en demeure pas moins tenu de « permettre l’accès gratuitement aux visiteurs dûment autorisés à accéder, séjourner, circuler ou pratiquer une activité dans le parc national du Mont-Orford conformément à l’article 6.1 de la Loi sur les parcs ».
Est tout aussi contraire à la volonté du législateur et aux dispositions du bail le fait d’empêcher ou de limiter l’accès aux terres louées sept mois sur douze (de novembre à mai) aux randonneurs, tout comme le serait l’imposition à ces derniers de tarifs supplémentaires pour accéder à ces terres ou pour utiliser un stationnement en sus des droits payés à la SÉPAQ pour accéder aux parcs nationaux, droits qui en principe incluent le stationnement. Le gestionnaire ne peut certes faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement en facturant le stationnement plutôt que l’accès à la montagne.
Dans ces circonstances, et tenant compte des fonctions et responsabilités des diverses autorités gouvernementales impliquées dans la gestion des parcs, dont plusieurs ont été des acteurs-clés dans l’élaboration du cadre légal mis en place depuis dix ans pour le parc national du Mont-Orford, je trouve pour le moins préoccupant le silence du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs ainsi que de la SÉPAQ dans ce dossier.
Il faut craindre qu’une érosion progressive de la vigilance de l’État quant au suivi de l’exploitation des terres sous bail dans le parc national du Mont-Orford ne conduise à une dérive plus insidieuse et qu’une interprétation trop libérale des activités de plein air, exceptionnellement tolérées sur ces terres, n’en vienne à constituer LA solution pour rentabiliser les installations de ski et de golf, et ce, au détriment non seulement des droits d’accès accordés en vertu de la Loi sur les parcs, mais aussi de l’intégrité et de la mission de protection de ce parc.
J’ose espérer qu’à la lumière du rappel des faits et des conditions ayant présidé à l’adoption de la Loi de 2010 et à la conclusion du bail, ces mêmes autorités gouvernementales, ainsi que la Corporation Ski & Golf Mont-Orford, sauront rectifier le tir et prendre les décisions nécessaires pour mieux concilier la rentabilisation des activités de ski et de golf avec les droits des usagers du parc, dans le respect de la loi et du bail.
Mario Denis
Avocat-légiste retraité