La vraie nature du Parc du Mont-Orford
À l’opposé de ce que laisse entendre le gouvernement du Québec, presque 500 des 649 hectares du Parc du Mont-Orford qui doivent être privatisés ‹afin de « doubler » le parc de 58,4 à 100 km2, un agrandissement soit dit en passant de 71%‹ sont recouverts de forêts et de milieux humides naturels. Donc plus de 76% de la superficie à vendre est composé d’écosystèmes en état pas moins naturel qu’un boisé de ferme non exploité ... si la ferme possédait trois montagnes.
Des 551 hectares du centre de ski à vendre, moins de 20% sont déboisés, incluant 15 hectares occupés par les routes, les bâtiments et les aires de stationnement, et 92,5 hectares par les pistes de ski et un étang artificiel. Des 98 hectares du terrain de golf à vendre, pas plus que 46 % sont déboisés. En résumé, du total de 6,5 km2 qui seront mis en vente, 5 km2 sont composés de terres boisées dont la grande majorité sont contiguës à d’autres terrains forestiers du parc et possèdent une intégrité écologique semblable ou même supérieure à celle du reste du territoire protégé (la cartographie détaillée est disponible sur demande à orford@herbcet.org). J’invite le lecteur de comparer ces chiffres avec ceux que P. Bastien, conseiller municipal désigné pour défendre le projet de vente, a présenté aux téléspectateurs de Radio-Canada Estrie lors du débat du 27 mars dernier dans une tentative de « coller un peu plus à la réalité du sol ». Selon M. Bastien, « Il faut bien voir, que sur ces 650 hectares, 73% soit 475 hectares sont complètement entièrement dénudés par le festival de la tronçonneuse qui a eu déjà lieu ; reste "d’espace naturel" 175 hectares qui sont fractionnés. Ce sont des espaces entre les pistes de ski, des espaces entre des bâtiments, des espaces entre des stationnements ».
Selon les données actuelles, les divers habitats du parc abritent 532 espèces de plantes indigènes. Parmi ce nombre, 11 espèces vulnérables ou menacées au Québec et 35 espèces précaires dans l’écorégion des Appalaches y trouvent refuge. On a trouvé des colonies de ces plantes rares disséminées partout dans le parc, y compris légèrement en marge des centres récréotouristiques, avec une concentration de colonies dans un secteur exclu de la vente situé entre le ski et le golf. Selon le parc, on a rarement jeté un coup d’oeil biologique à l’intérieur des zones sous bail, mais il existe quelques observations de plantes et de salamandres à statut précaire sur les flancs des monts Alfred-Desrochers et Orford ainsi qu’au pied du mont Giroux près du ruisseau Castle et du marais K-2.
En 2002, la SFPQ, la SÉPAQ, Intermont et le Canton d’Orford ont affirmé à tour de rôle que les terrains du parc entre le ski et le golf où s’implanteraient 1 000 condos étaient fortement perturbés, sans intérêt, à faible valeur environnementale ou écologique. Devant le BAPE en 2004-05, Mont-Orford Inc. et le MENQ ont ajouté que construire sur ces terrains n’aurait pas d’impact significatif sur la biodiversité ou aurait un impact tout à fait négligeable. Les résultats d’un inventaire dans cette zone ont pourtant incité le MDDEP à exclure 50 hectares d’aires naturelles du projet immobilier à l’été 2005. Depuis l’ajout de la mise en vente de tous les terrains sous bail à l’ancien projet immobilier de développer le pied des pentes, des promoteurs ont répandu l’idée que non seulement les 150 hectares de ski et de golf déboisés mais aussi les 500 hectares de terres forestières comparables à celles du reste du parc ne seraient que des terrains vagues, « uniquement de l’herbe » selon J. Delorme, ancien maire du canton d’Orford (14 mars, radio de CBC), ou « 475 hectares entièrement dénudés » selon le conseiller P. Bastien (27 mars, Radio-Canada).
Depuis l’annonce de la vente des trois sommets, de leurs divers versants et du parcours de golf, le promoteur a essayé une nouvelle tactique qui consiste en attirer l’attention sur la destruction généralisée que les activités récréatives ont déjà causées aux écosystèmes sous bail. Personne ne peut nier que l’entretien des pistes, des routes, des infrastructures, des stationnements, etc. perturbent périodiquement les terrains de ski, (un total de 101 hectares déboisés, selon R. Cloutier du bureau du promoteur) et que l’enneigement artificiel cause l’érosion des berges et la sédimentation des ruisseaux. Cependant personne ne peut affirmer, sans étude, que l’impact des activités de ski et de golf sur la reproduction et la dispersion des organismes qui occupent les 500 hectares encore intacts y a fait disparaître ou y menace actuellement la survie des espèces floristiques ou fauniques présentes depuis avant la création du parc, malgré l’effet de lisière, si ce n’est que des populations d’organismes rares puissent avoir été localement éliminées.
Plusieurs entre nous sommes désireux de connaître l’état actuel de l’ensemble des écosystèmes destinés à être privatisés par le gouvernement, idéalement dans le contexte d’audiences publiques sur les nouveaux territoires visés. Serait-il possible que le MDDEP et le promoteur se joignent à nous pour demander la réalisation d’inventaires complets et indépendants de la faune et de la flore pendant les saisons appropriées en 2006 ? Le promoteur serait d’accord sans doute qu’une réponse urge, puisque certains oiseaux nicheurs et amphibiens ne se détectent pas bien après les premières semaines du printemps. Le ministre Béchard pourrait sortir son gouvernement de l’impasse demain, en demandant la tenue d’audiences publiques approfondies.
Dans l’incertitude actuelle, où il est impossible d’informer les citoyens des implications patrimoniales et écologiques de la privatisation du Parc du Mont-Orford, rien n’est irrévocable et on est loin de pouvoir tourner la page.
Geoffrey Hall, membre de l’IQBIO
Marbleton