SOS PARC ORFORD

Un développement durable pour le Parc du Mont-Orford ?

Le point de vue de l’Institut québécois de la biodiversité (IQBIO)
lundi 24 avril 2006

Pierre Brunel, Ph.D., président
Institut québécois de la biodiversité (IQBIO)

 [1]

Le Projet de plan de développement durable du Québec 2004-2007, que le Gouvernement du
Québec soumettait à une vaste consultation en 2005, incorporait une « Stratégie et un Plan d’action
sur la diversité biologique 2004-2007 », adoptée formellement par le gouvernement Charest en juin
2004. Dans le mémoire que l’IQBIO soumettait en mars 2005 au ministère du Développement
durable, de l’environnement et des parcs du Québec, il soulignait deux contradictions importantes
que l’actualité avait depuis longtemps illustrées. D’une part, l’expression « développement durable »
contient une contradiction interne entre deux visions de nature plus ou moins idéologique,
l’économisme et l’écologisme, appelées à s’opposer de façon croissante dans l’avenir. D’autre part,
l’écart entre les discours et l’action caractérise presque tous les gouvernements en matière
d’environnement ou de développement durable. Le mot « développement » se prête en effet
admirablement à l’entretien d’une confusion dans l’esprit des gens.

Il y a longtemps que les écologistes professionnels, des scientifiques comme ceux qu’a
commencé à rassembler l’IQBIO afin de « Voir venir pour mieux prévenir », selon son motto,
s’inquiètent de la réduction de la biodiversité partout sur la planète. « Biodiversité » signifie à la fois
l’immense variété des espèces dans la nature, c’est-à-dire la biodiversité taxonomique, et la moins
grande mais plus importante variété des habitats et écosystèmes, c’est-à-dire la biodiversité
écologique. C’est cette dernière qui constitue la variété des paysages terrestres et aquatiques.
L’actualité environnementale fait assez fréquemment état des espèces menacées ou vulnérables, qui
bénéficient d’une protection légale, donc de ressources pour en développer les connaissances
scientifiques. C’est bien, mais ces espèces généralement de grande taille, très visibles mais peu
nombreuses ne représentent que la pointe d’un iceberg qui fond rapidement de manière insidieuse.
Peut-on sauver la pointe d’un iceberg sans sauver l’iceberg lui-même ? Cet iceberg, c’est celui de la
biodiversité écologique, composée de milliards d’individus minuscules - insectes, crustacés,
vermisseaux de toutes sortes - voire microscopiques, imbriqués dans des réseaux alimentaires
complexes qui permettent aux bien moins nombreuses espèces très visibles de survivre. Quelle
protection légale accorde-t-on à ces différents écosystèmes ? Jusqu’à maintenant, cette protection
passait par des lois qui devaient protéger à perpétuité un certain nombre d’écosystèmes
représentatifs d’une nature en dégradation accélérée. Un certain nombre ? Des miettes, puisque le
Québec ne protège qu’un peu plus de 3% de son territoire, par rapport à la moyenne mondiale de
8%, et de 12% pour l’Alberta et la Colombie-Britannique. La perspective d’une loi spéciale pour
« développer » le Parc du Mont-Orford, loi qui inverserait cette tendance, inquiète beaucoup les
scientifiques de notre institut, car une telle loi créerait un précédent dangereux. Elle ouvrirait la
porte à une utilisation abusive du mot « développement » qui s’inspirerait de l’économisme bien
davantage que de l’écologisme. Or nous croyons que le concept de développement durable doit
s’inspirer en premier de l’écologisme, devant l’économisme. Car ce dernier ne voit que l’immédiat,
alors que l’écologisme qui inspire la plupart des scientifiques que nous sommes voit plus loin dans
l’avenir. Celui de nos enfants et petits-enfants...

L’IQBIO compte déjà parmi ses membres des biologistes qui détiennent une expertise écologique
professionnelle sur laquelle il peut appuyer sa position. L’un d’eux, André Bouchard, avait même
déposé en 1979 un mémoire aux audiences publiques du ministre responsable des parcs lorsque la
même dynamique qu’aujourd’hui avait alors opposé le développement touristique et la conservation
de la nature. Trois articles de lui parus dans Le Devoir (23 mars, 30 juillet et 31 août 1979) avaient
peut-être contribué à faire reculer le ministre Duhaime (Le Devoir, 9 avril 2006, p. B5). Geoffrey
Hall, un autre de nos membres, a réalisé en 2001 et 2005 des inventaires fouillés de la flore du parc,
inventaire qui l’amènent en 2006 à mettre en doute (http://sosparcorford.org) la dimension des
espaces que le Gouvernement dit vouloir vendre ou protéger. Et une troisième biologiste de
l’IQBIO (Catherine Potvin) vient d’expédier au Premier ministre et au ministre Béchard une lettre
signée par quatorze collègues (Le Devoir, 7 avril 2006, p. A 1) qui tirent la même sonnette d’alarme
que l’IQBIO, en soulignant que l’agrandissement annoncé du parc, tout souhaitable qu’il soit, ne
protégerait pas l’écosystème boréal du sommet, qui est différent des terres basses en question.

Nous croyons qu’il reste trop peu, dans le sud densément peuplé du Québec méridional,
d’écosystèmes naturels biodiversifiés qui ont échappé jusqu’à maintenant au grignotage de
l’agriculture industrielle, de l’expansion urbaine et de la villégiature commerciale de luxe comme
celle qu’annoncent les condos du mont Orford. Le Rapport du BAPE sur le projet, rendu public le
23 mars 2005, conclut à l’insuffisance des études scientifiques sur les impacts environnementaux de
cette urbanisation du parc. Le mandat que les scientifiques de l’IQBIO se sont donnés les incite à
exiger de telles études. Même le ski surcommercialisé, qui peut être pratiqué ailleurs, a peu d’avenir
dans une Estrie vulnérable aux changements climatiques, que bien peu de scientifiques mettent en
doute. Les derniers écosystèmes qu’on a conservés dans le sud DOIVENT ÊTRE
INTÉGRALEMENT PROTÉGÉS, et le grignotage économiste myope doit cesser. C’est toute la
population qui doit pouvoir en profiter, dans des limites bien réglementées pour éviter toute
surexploitation, et pas seulement une minorité fortunée qui peut s’approprier le bonheur d’une
proximité avec la nature vierge. Cette majorité silencieuse de notre population n’a pas les moyens de
fréquenter les territoires qu’on a protégés et qu’on protégera au nord, loin des centres habités, là où
aucun promoteur ne voudra construire de condos... Que signifiera aux yeux du public l’adoption
éventuelle d’une Loi sur le développement durable dont le discours contraindrait justement tous les
ministères québécois à une vision écologiste d’avenir, quelques mois à peine après que le ministère
le plus responsable de cette vision aurait précipité dans une grande improvisation des actions
totalement contraires à cette vision ?

www.iqbio.qc.ca
iqbio@umontreal.ca

Références bibliographiques optionnelles...

  • Bouchard, A., 1979a. Non au Centre touristique du mont Orford. Le Devoir, 23 mars 1979, p. 22
  • Bouchard, A., 1979b. L’avenir du parc du mont Orford. Le Devoir, 30 juillet 1979, p. 5
  • Bouchard, A., 1979c. Les jeux sont faits au mont Orford. Le Devoir, 31 août 1979, p. 5
  • Gauvin, C. et A. Bouchard, 1983. La végétation forestière du Parc du Mont-Orford, Québec. Can. J.Botany, 61(5) : 1522-1547
  • Hall, G., 2001. Inventaire et évaluation floristiques du Parc du Mont-Orford, secteurs est et sudouest.
    Rapport à la SEPAQ, Parc du Mont-Orford, Magog, 116 pp.
  • Hall, G., 2002. Inventaire et évaluation floristiques du parc du Mont-Orford, secteurs centre et nord.
    Rapport à la SEPAQ, Parc du Mont-Orford, Magog, 110 pp.
  • Hall, G., 2005. Inventaire et évaluation floristiques du parc du Mont-Orford, secteurs centre-sud,
    nord-ouest et nord-est. Rapport à la SEPAQ, Parc du Mont-Orford, Magog, 160 pp., 80 fig.
  • Hall, G., 2006. La vraie nature du Parc du Mont-Orford.
    http://sosparcorford.ca/article.php3?id_article=44&var_mode=calcul
    IQBIO, 2005. Consultation sur le projet de plan de développement durable du Québec 2004-2007.
  • Mémoire de l’Institut québécois de la biodiversité (IQBIO). 16 pp. Disponible sur demande :
    iqbio@umontreal.ca

[1L’IQBIO est un OSBL qui rassemble déjà une centaine de biologistes
et 13 institutions pour développer les connaissances sur la biodiversité.


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